Valentine
Tous les matins à 10h. Tous les après-midis à 16h. En hiver comme en été, par temps de pluie ou de soleil rayonnant, elle revêtait son long manteau élimé dont les motifs et la forme n’évoquaient aucune mode ancienne ou récente. Elle quittait son appartement, en laissant la porte ouverte. D’un pas lent et majestueux, elle descendait les trois étages de son très vieil immeuble. Sur le trottoir, elle regardait le ciel, semblait hésiter puis ayant choisi une direction, elle parcourait les rues situées aux alentours. Parfois, elle allait s’asseoir dans le jardin public. Elle regardait sans les voir, les enfants jouer. Elle jetait d’un geste machinal, aux canards du bassin, le pain qu’elle sortait de la poche profonde de son vêtement. Parfois, sur son parcours, elle entrait dans un magasin, désignait ou prenait ce dont elle avait besoin, allait vers la caisse, sortait de sa poche une bourse en mailles d’argent afin que le caissier y puise la monnaie nécessaire à son achat et reprenait son chemin…
Dernier acte
« Où était la chatte ? Où s’était-elle encore cachée ? »
Arnaud arpentait ce grand appartement qu’il occupait depuis 50 ans dans le centre de Paris.
Quelle chance il avait eu à l’époque de cet après-guerre, commençant sa vie de théâtre, de louer ce lieu. Un bail-commercial-mixte-loyer-48, pas cher. Il se souvenait. C’était au pendule qu’il l’avait trouvé sur un plan de Paris. Le pendule… Il sourit. Ça faisait bien longtemps qu’il ne l’avait pas vu balancer ce pendule. Pendant la guerre pour éviter le STO, caché sous une autre identité, il avait fait une tournée théâtrale dans toute la France. Pour survivre, en échange de quelques tickets de rationnement, il faisait les lignes de la main et le pendule, à un public, avide d’avenir et de bonnes nouvelles. Etait-ce dans cette vie ? ou une autre ? Avait-il vraiment vécu cette résistance, ou lu, ou inventé, comme ces pièces qu’il avait jouées, toutes ces histoires qu’il avait imaginées ?